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Titre: L'errance de Gianni
Auteur: [livejournal.com profile] shono_hime
Fandom: Armageddon (Original)
Personnages: Gianni, mention d'autres
Rating: PG-13
Disclaimer: L'univers est à [livejournal.com profile] guru_messakira et les personnages cités, à l'exception de Delta, Lucifer et Bélial sont à moi.
Note: Demandé par Messa, sur le thème "Famille", voire "Conviction"

Le garçon assis au fond du car qui roulait vers l'ouest avait l'air absent et la mine sale des fugueurs. Le chauffeur de car et les autres passagers n'y avaient pourtant pas fait attention. Ils étaient si nombreux, comme lui, à fuir et à se perdre. Il devait avoir une quinzaine d'années, de grands yeux noisette et des cheveux blonds foncés qui dépassaient du bonnet bleu marine qu'il portait. Vêtu d'un blouson un peu trop grand, de style militaire, il portait un large jean sale et des baskets de skater . À côté de lui, il avait posé son sac, une vieille chose informe vraisemblablement tirée également d'un surplus de l'armée et il tenait un skate sur ses genoux. Il était de fabrication artisanale, avec des roues un peu trop grosses pour faire des figures et une planche lourde et mal découpée, et pourtant l'adolescent s'y accrochait comme un naufragé à une bouée. Il avait dormi un peu, profitant de la chaleur et de la sécurité relative que lui procurait le car et il était maintenant tourné vers la vitre à regarder le paysage qui défilait sous ses yeux.

Il avait l'allure du gamin paumé qui risquait de finir allongé dans une ruelle, ou à dealer de la drogue ou bien son propre corps. Sans doute la grand-mère assise à l'avant du car avait-elle vu en lui une de ces si nombreuses âmes perdues dont les portraits ornaient les murs des commissariats du pays. L'idée l'aurait fait sourire. Il n'était pas une âme perdue, loin de là. Il les connaissait, les âmes perdues, il en avait croisé et il avait même failli y rester. Plus d'une fois. Les démons, les anges déchus... Ycroirait-elle , cette grand-mère, s'il lui expliquait ce qu'il savait ? Aurait-elle la foi suffisante pour accepter l'existence réelle et tangible du Royaume des Cieux et de celui des Enfers ? Lecroirait-elle, s'il s'avançait vers elle et lui racontait que lui, Gianni Santino, adolescent italien perdu au beau milieu de l'Arizona avait parlé avec un Séraphin, lutté contre un démon et un ange déchu et qu'il cherchait maintenant à trouver un moyen de descendre aux Enfers ?

Il frissonna malgré la tiédeur du car. C'était de loin l'idée la plus stupide de toutes les idées idiotes qu'il avait jamais eu. Et pourtant, en quinze courtes années d'existence, il avait accumulé un sacré capital ! Mais depuis quelques temps, il accumulait vraiment. Difficile de dire quand ses idées étaient passées de stupides à définitivement idiotes avec option asile psychiatrique... Était-ce chez lui, à Lucques, en Italie, quand il avait sympathisé avec Adriano ? Non, ce n'était pas la faute d'Adrian, et puis de toute façon, Adrian était mort. Une mort normale, injuste et violente mais quand même une mort normale. C'était après, que les choses s'étaient compliquées, quand Gianni avait croisé Adrian , trois jours après sa mort, qui déambulait dans la rue avec une tête d'ahuri. Peut-être qu'elle était là, son idée stupide, quand il l'avait abordé. Mais comment faire autrement ? Son ami qui était censé être mort était là, bien vivant devant lui.

Il n'avait mis que quelques temps à accepter l'idée qu'Adrian était bien mort et que la personne à qui il parlait était bien différente... Il s'appelait Manaël, et il disait être un ange. Gianni l'avait cru, lui qui séchait les cours de religion à l'école et qui raillait ses parents pour qui Dieu était Tout-Puissant. S'ils avaient su... S'il avait su... C'était quand il avait choisi d'aider Manaël que les choses avaient dégénéré : retrouver un autre ange, un certain Mishael, égaré sur terre. Rien de plus facile... ou pas. Car Mishael, que Manaël aimait tant, s'était révélé être un ange déchu et la première chose qu'il avait faite quand ils l'avaient trouvé avait été de chercher à convaincre Manaël de venir en Enfer avec lui. Subtil et délicat, vraiment.

Ils avaient été sauvés par les Donovan, une famille complètement dysfonctionnelle et presque trop attachante d'américains qui sillonnaient l'Italie pour... chasser les démons, fantômes et autres manifestations du Mal. Entre le père, Charlie, un pasteur qui taquinait un peu trop la bouteille, et les trois enfants aux noms tirés de l'alphabet militaire, Sierra, Delta et le petit dernier, Tango, ils en tenaient une couche, mais ils connaissaient leur boulot. L'aînée, Sierra était une tireuse hors pair et un bon petit soldat. Tango, ou plutôt Tank, comme il préférait se faire appeler, était un as du volant, malgré ses quinze ans et il était plein de ressources et très drôle. Et Delta... elle n'était que la cadette et pourtant la mère de la famille. C'était elle qui pansait les plaies et qui faisait la cuisine. Elle était irritante et parfois effrayante, mais aussi désespérément humaine et touchante.

C'était sans doute pour cela que ce démon l'avait choisie, séduite et enlevée. Sa trop grande humanité, sa volonté de normalité et de paix représentaient une faiblesse que Bélial avait su exploiter. Gianni serra les dents. Manaël était reparti en Haut, le coeur certainement brisé par son ange déchu, et Gianni avait dû faire face seul à la nouvelle vision du monde que leur rencontre avait fait éclater. Il avait dû accepter toutes ces choses auxquelles il ne croyait pas jusqu'alors, afin de protéger sa propre vie. En très peu de temps, il s'était retrouvé intégré à la famille Donovan, jusqu'à en faire presque partie. Et Delta avait toujours été là pour s'assurer qu'il trouve ses marques, que l'Italie qu'ils avaient dû quitter précipitamment ne lui manquait pas trop et qu'il se faisait à sa nouvelle vie. Sa nouvelle vie d'Héritier.

Voilà une chose qu'il aurait pu dire à la grand-mère assise non loin de l'entrée du car avec son air pincé. Il se voyait même se lever, son skate sous le bras et s'avancer vers elle en lui disant : « Eh, mamy, tu sais pas à qui tu as affaire ! Je descends directement de Dieu Le Père ! Et oui, parfaitement, je suis un descendant de Jésus Christ lui-même ! » Cette simple idée suffisait à lui donner envie de rire.

Et pourtant c'était vrai. Tiens, elle était là, son idée Stupide : quand il avait choisi de croire. Quand il avait accepté sa destinée. Mourir en martyr... rien de plus facile ! Surtout avec un tas de démons et d'anges déchus à ses trousses, bien décidés à sucer sa Divinité jusqu'à la moelle. Bon appétit, les gars !

Pourtant, malgré l'empressement démoniaque à le retrouver pour le tuer, depuis deux semaines qu'il avait fui le mobile home des Donovan, il n'avait pas fait de mauvaise rencontre. C'était presque frustrant. Lui qui cherchait les démons, voilà qu'il ne les trouvait pas. Pourtant, il fallait qu'il continue d'essayer. Pour Delta. Parce qu'elle devait être malheureuse, en Enfer, prisonnière de ce sale ange déchu, ce Bélial qui l'avait mise enceinte avant de l'enlever. Oh, à la décharge de Bélial, il avait essayé de les enlever tous les deux, mais Mickael l'avait sauvé, lui. Pas elle. Seulement lui, et même si ce n'était pas la faute de Mickael , si le Séraphin avait définitivement fait de son mieux, et bien... quelque part, ce n'était pas juste. Delta ne méritait pas tout ça.

Ils s'étaient fait une promesse, quand elle avait appris qu'elle portait l'enfant de Bélial. Elle lui avait promis d'arrêter de déprimer et de garder le bébé, de l'élever pour qu'il devienne bon, et en échange, il avait promis d'aimer un peu plus le Monde. Parce que selon elle, le Monde méritait qu'on essaie de le sauver. Sauf que Gianni ne se voyait pas sauver le Monde s'il n'était pas capable de la sauver, elle qui avait patiemment lié avec des fils de tendresse sa vie avec celle de la famille Donovan.

Alors il était parti, laissant derrière lui les Donovan restants, qui seraient de toute façon plus en sécurité sans lui. Protéger un Héritier inexpérimenté contre l'armée des Enfers n'était pas vraiment une assurance de vie longue. Et depuis, il cherchait un moyen de contacter Lucifer lui-même. Autant parler directement au chef pour ce genre de marché. Sauf que Lucifer ne semblait pas décidé à lui parler, ce qui était carrément frustrant. Et épuisant. Et décourageant. À en pleurer, parfois...

Les lumières de la ville étaient à présent bien visibles et Gianni soupira. Il était encore tôt et il allait devoir passer la nuit dehors. Il n'avait pas eu le coeur de prendre trop d'argent en quittant les Donovan . Ils en avaient besoin et ils avaient déjà été bien trop généreux avec lui. Il gardait quasiment tout son maigre pécule pour payer le car et il passait donc toutes ses nuits dehors, quand il ne voyageait pas de nuit. Heureusement, le temps était encore clément, d'autant plus qu'il était dans le Sud des États-Unis.

Le car s'arrêta dans un grincement de freins et Gianni se leva sans grande motivation. Passant devant la vieille dame, il eut un sourire pas vraiment amusé. Qu'elle reste innocente, la bienheureuse. Il sauta hors du bus et posa le pied sur son skate. La gare des cars était située dans un quartier plutôt mal famé, comme souvent. Il allait devoir chercher à dormir plus loin, s'il ne voulait pas faire une nuit blanche... Enfin, il avait le temps.

Il commença à rouler lentement, sa silhouette et son allure ne dépareillant pas dans le voisinage. Tout en avançant, il regardait autour de lui, notant la pauvreté et le marasme qui régnaient sur les lieux. Au bout de quelques minutes, comme un phare dans la nuit noire, il aperçut une église. Posant le pied par terre pour s'arrêter, il hésita avant de s'approcher à pieds, son skate sous le bras. Une affiche placardée sur le panneau de l'église Saint John of God annonçait une soupe populaire après la messe, le soir même. Le nom de l'église, qui lui rappelait Tank et son deuxième prénom, déclencha en lui un pincement au coeur.

Le bâtiment était plutôt bien conservé, plus qu'il ne l'aurait imaginé vu le quartier. Mais peut-être que les gens du coin étaient suffisamment sages pour préserver ce sanctuaire... Il pouvait toujours rester au fond de l'église le temps de la messe, puis prendre à manger sans parler à personne. Son accent italien était encore très prononcé même s'il avait largement progressé en anglais au contact des Donovan. Ça lui ferait une ou deux heures de plus au chaud, avant la nuit... Il leva la tête pour observer le fronton et se surprit à avancer vers l'entrée sans vraiment y penser.

Le tapis qui recouvrait les dalles de la nef étouffait ses pas tandis qu'il pénétrait dans l'église en se signant sans même y penser. Elle était encore vide, l'office ne débutant pas avant encore une demi-heure. Les cierges allumés, les larges vitraux qui laissaient entrer les derniers rayons de soleil et la légère odeur de cire le réchauffèrent. Il pensait s'asseoir au fond mais ses pas le conduisirent vers l'autel. Il s'arrêta devant le choeur et leva les yeux vers l'imposant crucifix qui trônait derrière l'autel. Il fixa, fasciné, le visage du Christ et à nouveau, son coeur se serra à la vue de son air presque triste.


« Ce n'est pas vraiment étonnant... souffla-t-il en italien.
— Pardon ? Tu as dit quelque chose, mon garçon ? » lança une voix derrière lui.

Il sursauta et pivota brusquement sur ses talons, sa main se resserrant presque convulsivement sur son skate. Le prêtre qui venait de le surprendre recula d'un pas en levant les mains.

« Je m'excuse de t'avoir fait peur, petit. Je pensais que tu m'avais entendu approcher. »

Il devait avoir une cinquantaine d'années, portait la barbe et une petite bedaine. C'était un prêtre tout ce qu'il y avait de plus ordinaire, très différent de Charlie, et pourtant Gianni se surprit à penser qu'il n'arrivait pas à la cheville du père Donovan. Il se détendit cependant et offrit un sourire d'excuse au prêtre.

« Tu m'avais l'air bien concentré, continua le religieux en s'approchant pour s'asseoir sur le banc, à côté de l'endroit où Gianni se tenait. Il est plutôt fascinant, n'est-ce pas ?
— Oui, admit l'adolescent en parlant lentement pour bien formuler ses mots. Il a l'air triste, je trouve.
— Il porte le poids de l'humanité sur ses épaules. Il en efface les péchés de par sa mort. Cela lui fait beaucoup de raisons d'être triste, tu ne trouves pas ?
— Ou peut-être qu'il est juste triste de mourir...
— Le Christ savait ce que représentait son sacrifice, objecta doucement le prêtre en le regardant d'un air intéressé.
— Quand même... Il était humain en plus d'être Divin. C'est normal qu'il n'aie pas eu envie de mourir... Ça fait partie de ce qui le rendait humain, justement, non ?
— Ne me demande pas confirmation, mon garçon. Chacun peut lire dans les actes et les paroles du Seigneur la Vérité qu'il recherche.
— Tant qu'elle est conforme à son Message...
— Exactement. » confirma-t-il avec un sourire amical.

Le prêtre se redressa et lui tendit la main.

« Je suis le père Mark, » se présenta-t-il.

Gianni hésita une seconde, puis se dit qu'il était ridicule. Même si le Vatican le recherchait toujours (comme si les démons, les anges et les chasseurs ne suffisaient pas), ils ne le traquaient pas non plus comme un animal dangereux. Il aurait vu son signalement placardé partout, si ça avait été le cas. Il se détendit donc et serra la main du prêtre.

« Je m'appelle Gianni.
— Tu n'es pas du coin, je me trompe ?
— Non... admit-il sans trop savoir quoi rajouter.
— Allons, ne t'inquiète pas. Tu n'es pas le premier que je croise, le rassura gentiment le prêtre en lui posant une main sur l'épaule. Tu viens pour la soupe ?
— Et pour la messe, aussi, se surprit-il à répondre.
— Ils sont plutôt rares, ceux-ci, par contre... »

Le père Mark le considéra une seconde en silence puis hocha la tête comme s'il avait pris une décision.

« Si je te proposais de t'aider à rentrer chez toi, tu fuirais certainement sans demander ton reste. Il est dur de sauver les brebis égarées, parfois... Le berger se doit de faire preuve d'adaptabilité. Veux-tu bien m'aider à préparer la messe et la soupe ? En échange je te donnerai une double ration et tu pourras passer la nuit au presbytère. Qu'en penses-tu ? »

Gianni hésita. L'offre était des plus tentante. Son instinct le poussait cependant à refuser, à continuer à avancer. Ce n'était pas dans une église qu'il risquait de trouver un démon qui l'aiderait à contacter Lucifer... Pourtant son estomac vide et cet étrange bien-être qu'il ressentait dans l'église eurent raison de son instinct.

« Merci... Dites moi ce que je peux faire pour vous aider.
— Viens, je vais te montrer. »

Il aida le prêtre à enfiler sa robe puis à installer les fleurs dans le choeur et les livrets sur les bancs des travées. En même temps, ils continuèrent à discuter, l'homme étant visiblement ravi de pouvoir deviser avec un jeune de questions religieuses.

« Tu disais que Jésus était triste de mourir ? reprit-il donc pendant qu'ils fleurissaient le choeur.
— Oui. Et il devait avoir peur, aussi.
— Ne penses-tu pas qu'il était rassuré de retrouver son Père et sa plénitude ?
— Peut-être. Ça devait rendre la chose plus facile, mais... »

Il s'interrompit et leva une nouvelle fois les yeux vers l'effigie du Christ, de son ancêtre sur la croix et il ressentit de façon presque physique la terreur et le sentiment d'injustice qui l'habitaient depuis qu'on lui avait expliqué le destin de martyr de tous les Héritiers qui avaient accepté de suivre leur Voie.

« Il n'était pas vieux, il avait une famille... Même avec la plus grande foi du monde, c'est toujours dur de laisser derrière soi les gens qu'on aime... pour toujours. Il était humain. Il était comme nous, malgré sa détermination et son amour pour le Monde... Quelque part, ce n'était pas juste qu'il ait à faire ça. »

Il cessa à nouveau de parler et baissa le nez, gêné.

« Ce que je raconte n'a aucun sens, désolé...
— Non, pas du tout. Tu sais, mon garçon, c'est également sa compassion pour nous qui l'a poussé à accepter cet ultime sacrifice. Sans doute n'est-il que justice que nous lui rendions un peu de cette compassion. »

Gianni hocha la tête et sourit au prêtre en guise de remerciement. Il termina de fleurir l'autel, puis dispersa les fleurs restantes dans l'église. Il en posa délicatement deux aux pieds d'une jolie statue de la Vierge et pensa un instant à Sierra et Delta. Puis il se détourna et retourna aider aux préparatifs.

Dix minutes plus tard, l'église était pleine. Il avait insisté pour rester au dernier rang contre l'avis du père Mark. Il se sentait mieux à pouvoir regarder toute l'assemblée se lever, s'asseoir et chanter tout au long de la messe. Il commençait à bien connaître le rite en anglais, toujours grâce aux Donovan, mais il ne chanta pas. À ces moments là, il ferma les yeux pour écouter. Parfois, il pouvait sentir le regard du prêtre sur lui.

La soupe populaire eut lieu sur le parvis. En plus du bol de soupe, tous avaient droit à un morceau de pain et à un fruit. Ils avaient installé quelques tables où les gens pouvaient s'asseoir pour rendre le repas un peu plus convivial. Gianni était chargé de passer de table en table pour offrir de l'eau. Il préférait encore ça à distribuer du pain... ça aurait été beaucoup trop cliché, pensa-t-il avec un sourire.

Il venait de terminer sa tournée quand il aperçut, à l'écart, un garçon un peu plus âgé que lui qui lui faisait signe de s'approcher. Il était d'une maigreur inquiétante, et ses vêtements commençaient visiblement à dater, mais ses yeux marron brillaient d'intelligence derrière ses mèches brunes. Pensant qu'il voulait de l'eau, Gianni le rejoignit et lui tendit un gobelet qu'il venait de remplir. Son offre fut complètement ignorée et l'inconnu lui prit le bras presque avec violence, renversant l'eau au sol. Gianni se tendit, prêt à se débattre, mais l'absence d'agressivité de l'autre garçon le fit hésiter.

« Ne passe pas la nuit ici, souffla ce dernier après un bref regard par dessus son épaule.
— Quoi ?
— Ne reste pas là cette nuit. Ça ne serait pas bon pour toi.
— Pourquoi tu me dis ça ? Qui es-tu ?
— Je ne suis personne. Et je te dis ça parce qu'il y a des démons contre lesquels même ton skate ne peut rien... » répliqua le garçon.

Gianni le regarda, interdit. Cette remarque aurait pu paraître idiote et sans intérêt, mais son coeur se mit à battre plus fort sous le regard de l'autre. Son skate... Aussi ridicule que cela puisse paraître, il s'agissait là d'un skate béni. Il l'avait fait lui-même quand il avait perdu son premier skate, celui là aussi béni. Il était bizarre de bénir un objet aussi trivial, mais il était très précieux pour lui, et lui avait plus d'une fois sauvé la vie. C'était un objet contondant sacrément efficace, surtout contre les anges déchus qui craignaient tout ce qui était béni. Ce skate était, avec le chapelet que Delta lui avait donné et les petites amulettes qu'il avait au poignet, un de ses moyens de protection les plus efficaces. Alors que ce garçon qu'il ne connaissait pas sache tout cela l'inquiétait et l'intriguait.

« Dis donc, toi ! Je t'avais dit de ne plus revenir ici ! tonna le père Mark en approchant d'eux à grands pas.
— Je m'en vais, coupa le garçon en lâchant Gianni et en reculant.
— Tu as intérêt ! Après la pagaille que tu as causée la dernière fois, tu as un sacré culot de te remontrer par ici ! s'exclama le prêtre en posant une main sur l'épaule de Gianni pour le mettre derrière lui. File, avant que j'appelle la police !
— C'est bon, c'est bon... »

Il fit quelques pas à reculons, ne quittant pas Gianni des yeux, puis il se détourna et s'éloigna d'un pas vif. Le prêtre se détendit en le voyant partir.

« Mon père ?
— Il ne t'a pas importuné, Gianni, n'est-ce pas ?
— Non... hésita le garçon.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit ? Tu as l'air troublé, s'inquiéta le religieux.
— Je... je voulais lui donner de l'eau mais il a refusé. Il n'était pas très... gentil. »

Le mensonge, venu si naturellement, lui semblait presque une insulte, après la bonté dont avait fait preuve le père Mark envers lui. Pourtant les quelques phrases échangées avec l'autre adolescent avaient semé l'inquiétude en lui. Le prêtre lui tapota l'épaule pour le réconforter puis l'enjoignit à l'aider à ranger. La soupe était terminée.

Une demi-heure plus tard, la lune se levait sur la ville. Les tables étaient rangées dans une salle attenante au presbytère et Gianni attendait le père Mark qui était allé se changer, assis sur une d'elles. Son sac et son skate étaient posés à côté de lui. Il ruminait les avertissements vagues que lui avait soufflé l'inconnu en se demandant s'il n'était pas en train de devenir paranoïaque. Mais ce garçon avait semblé savoir de quoi il parlait...

« Tu m'as l'air bien pensif, lança le prêtre en rentrant dans la pièce.
— Je repensais juste au garçon de tout à l'heure... Qu'est-ce qu'il a fait pour que vous soyez si furieux contre lui ?
— C'est un fauteur de troubles qui n'apporte que des ennuis. J'ai essayé de l'aider, mais il est trop... mauvais, expliqua-t-il en fermant la porte.
— Ce n'est pas le devoir du berger que de veiller sur toutes ses bêtes, même les moutons noirs ?
— Certaines personnes ne peuvent pas être sauvées. Mieux vaut concentrer nos efforts sur les gens qui en valent la peine, comme toi, Gianni, » sourit-il.

Le garçon fronça les sourcils. Il n'y avait pas encore si longtemps, lui aussi passait ses journées dans la rue, comme le fauteur de troubles dont ils parlaient. Pire, lui avait choisi de vivre ainsi en rejetant ses parents et en séchant les cours. L'autre garçon, vu son allure, ne devait pas avoir beaucoup eu le choix.

« Je ne suis pas d'accord, objecta-t-il. Si personne n'essaie, qui peut dire s'il n'en vaut pas la peine ? »

Le père Mark le toisa de haut, l'air mécontent, et Gianni s'aperçut qu'il s'était approché tout près de lui. Il écarquilla les yeux et fit mine de descendre de la table pour mettre une petite distance entre eux. Le prêtre avait fermé la porte.

« Qu'y a-t-il, Gianni ? souffla l'homme en tendant une main pour la poser sur son épaule.
— R...rien. Je... j'ai un peu chaud, je voudrais prendre l'air, » répondit-il d'une voix que le malaise rendait mal assurée.

Il tenta de repousser le moins méchamment possible la main du prêtre, mais elle s'abattit comme une serre sur son bras. Il grimaça et réalisa à quel point il aurait dû écouter son mystérieux protecteur.

« Lâchez-moi, vous me faites mal, se débattit-il faiblement, priant encore pour que cela ne soit qu'un malentendu.
— Allons, n'aie pas peur... » cajola le religieux avec un sourire malsain.

Sentant la panique le gagner, Gianni essaya de reculer, mais buta contre la table. La serre sur son bras se fit morsure et une autre main commença à lui caresser la hanche, cherchant la peau sous son pull. Il chercha d'une main son sac, n'importe quoi, mais le prêtre le pressa violemment contre la table en un geste obscène, l'obligeant à s'appuyer pour ne pas tomber en arrière.

« Chut, mon garçon, soufflait le monstre à son oreille. Fais donc preuve d'un peu de gratitude. Ne t'ai-je pas accueilli et nourri ?
— Arrêtez ! cria-t-il, au bord de la nausée en le repoussant aussi fort que possible.
— Tais toi ! »

Un claque violente le contraint à obéir et il s'effondra contre la table. Sonné, il continua pourtant à se débattre, malgré les doigts qui griffaient son ventre et l'écoeurante chaleur émanant du prêtre qu'il sentait alors que ce dernier se pressait contre lui.

« Bon petit garçon, souffla-t-il avec une sincérité déconcertante en découvrant le chapelet qui pendait au cou de Gianni alors qu'il remontait son pull et son t-shirt d'un geste animal.
— Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! » criait-il à présent en ruant comme il pouvait.

Il lança un coup de talon au jugé et un grognement douloureux retentit. Porté par la panique, il rejeta violemment la tête en arrière et vit des étoiles quand son crâne rencontra le nez de son agresseur. Ce dernier jura et le lâcha en titubant, se tenant le nez. Secouant la tête pour essayer d'y voir clair, Gianni ramassa précipitamment ses affaires et se précipita vers la porte. Derrière lui, il entendait le prêtre lui promettre maintes douleurs.

Il se rua dehors, aveuglé par la terreur et percuta quelqu'un. Il tomba en arrière, mais une main le tira en avant pour lui faire reprendre son équilibre. Il eut vaguement le temps de reconnaître le garçon qui lui avait parlé, puis ce dernier le poussa derrière lui et frappa de toutes ses forces le père Mark qui venait d'apparaître à la porte. Il eut un grognement sourd et s'effondra. Gianni l'imita, tombant à genoux et cherchant désespérément à reprendre son souffle.

« Non, lève-toi ! lui ordonna son sauveur. Vite ! »

Une main l'aida à se relever et il cligna des yeux en dévisageant un autre adolescent, un petit brun un peu plus jeune que lui. Ce dernier le regarda bizarrement, puis le tira vers la sortie, le troisième garçon sur leurs talons.

Ils coururent quelques minutes, puis Gianni s'effondra contre un mur, les poumons et la gorge en feu. Il ouvrit la bouche pour essayer de trouver un peu d'air, et il se laissa glisser au sol.

« Mais qu'est-ce qu'il fout ? s'exclama le plus jeune. Bouge ! Relève toi ! Tu veux qu'il nous rattrape ou quoi ? »

Gianni le regarda sans comprendre, puis quand les mots trouvèrent un sens, il sentit ses yeux s'embuer et à sa grande honte, il éclata en sanglots. Il entendit le garçon râler, vaguement moqueur, mais il n'arrivait pas à s'arrêter. Sa joue le brûlait toujours et sur son ventre, comme des sillons de feu, il lui semblait que les mains du prêtre étaient toujours là.

« C'est pas vrai ! C'est pas le moment, quoi ! continuait le petit brun.
— Pars devant, le coupa l'autre en s'accroupissant devant Gianni.
— Mais...
— Rentre chez toi, c'est bon. Je crois que je l'ai étalé pour une ou deux heures.
— Tu est sûr que...
— T'es sourd ou quoi ? Vas-y, c'est bon, je m'en occupe. »

Le garçon s'éloigna à grands pas et Gianni baissa des yeux baignés de larmes vers son sauveur. De près, il paraissait plus jeune et son sourire était à la fois rassurant et triste. Il tendit la main vers lui et effleura sa joue douloureuse. Toujours secoué de sanglots incontrôlables, il lui fallut quelques secondes pour réaliser qu'il lui parlait.

« Je suis désolé. J'aurais dû venir plus tôt. Je te demande pardon... souffla-t-il, son regard empli de culpabilité.
— C'est... Je... Merci, réussit à articuler Gianni entre deux sanglots.
— C'est rien. Allez, calme toi, il faut que tu te lèves. »

Gianni hocha la tête, grimaçant à la douleur que cela déclencha à l'arrière de son crâne. Il pleurait toujours faiblement mais les sanglots s'étaient taris. Il se redressa péniblement, aidé par son compagnon.

« Tu peux marcher ?
— Oui... Je vais bien, je suis juste...
— Choqué. C'est normal. Allez, je te ramène chez moi. »

Il ne lui vint même pas à l'esprit de refuser ou au moins de demander des précisions. Ils se contenta de se laisser entraîner dans des ruelles sombres. Ils marchèrent quelques minutes, mais il lui sembla qu'ils auraient pu arriver plus vite s'il avait réussi à marcher droit. Ils s'arrêtèrent devant un immeuble ordinaire, bien qu'un peu délabré, et pénétrèrent à l'intérieur.

« Tu vas être content, plaisanta l'adolescent en l'entraînant vers la droite. Je suis au rez-de-chaussée.
— Cool, » parvint à sourire Gianni.

Quelques mètres, quelques secondes pour sortir une clé et ils rentraient dans un petit studio étonnamment propre, bien que chichement meublé. Gianni se laissa pousser vers le sofa, où il se laissa tomber lourdement.

« Tu es sûr que tu n'es pas blessé ?
— Ça va. J'ai juste mal à la tête, mais je ne crois pas que ça soit grave.
— Montre-moi. »

Il laissa son sauveur lui examiner la tête, puis la joue tout en se calmant petit à petit. Effectivement, il n'avait rien de grave et reçut bientôt un simple pack de glace enveloppé dans un chiffon pour calmer la douleur.

« Reste ici deux minutes. Je vais juste m'assurer qu'on sera tranquilles cette nuit, d'accord ? Si tu veux fuir, passe par la porte, ça sera plus facile. »

Gianni eut un petit sourire et hocha la tête. L'adolescent sortit, fermant doucement la porte derrière lui et il se retrouva seul. Le silence l'enveloppa et il y trouva un peu de réconfort. Il avait son sac à l'épaule et tenait toujours son skate à s'en faire blanchir les jointures. Il le lâcha mais le garda sur les genoux.

« Tu m'as fait promettre d'aimer un peu plus le Monde, Delta, souffla-t-il sans réfléchir. Mais comment je peux l'aimer quand il y a des gens comme ça sur terre ? Quand des hommes comme lui, censés apporter le réconfort, se révèle être un bourreau, un démon ? »

Il comprenait maintenant mieux pourquoi son hôte avait parlé de démons d'un genre différent. Ce prêtre était en effet tout ce qu'il y avait de plus normal. Il n'y avait rien démoniaque en lui et sa malveillance était tout à fait humaine. C'était encore pire. Il tira faiblement sur son chapelet et leva d'un geste tremblant son poignet pour observer les amulettes et autres médailles de protection qui y pendaient. À quoi tout cela servirait-il contre ce Mal humain ? Avec un soupir découragé, il posa la poche à glaçons à côté de lui et se leva. Il se mit à examiner la pièce pour se changer les idées.

Une ligne de sel devant chaque fenêtre, des médailles de différents saints punaisées sur les murs et l'odeur discrète de l'encens. Oui, visiblement, son sauveur savait exactement de quoi il parlait. Pourtant, il ne lui semblait pas que c'était un chasseur... Perplexe, il continua sa petite inspection en se massant la nuque. Il allait avoir mal partout pendant quelques temps, il le sentait.

Il y avait de nombreux livres posés au sol, de nombreux traités de théologie, un exemplaire du coran aux pages cornées et une bible visiblement usée posée dessus. À côté, en tas, il y avait des papiers. En s'approchant, il s'aperçut que c'était des dessins, mais il ne les examina pas plus avant, pour ne pas trop empiéter sur l'intimité de son hôte. Il y avait aussi un coussin par terre, avec des poils dessus, et il en déduisit que le chat ne devait pas encore être rentré.

Une fois son petit tour terminé, il revint vers la fenêtre et avisa un chapelet accroché à la poignée. Sans réfléchir, il le prit sans le décrocher, appréciant le contact des perles noires contre ses doigts et il ferma les yeux. La bénédiction n'était pas encore une chose naturelle pour lui, loin de là, mais il fit de son mieux, autant par volonté de se protéger cette nuit que par gratitude envers son compagnon. Il sentit la chaleur spirituelle des pierres s'accroître un peu et il recula, satisfait.

« Merci.
— De rien, répondit-il sans même sursauter, comme s'il avait sentir l'autre garçon arriver.
— Quelqu'un va monter la garde dans le coin, ce soir. Je ne pense pas que le prêtre se risquera par ici, mais au cas où quelqu'un d'autre viendrait... »

Gianni savait pertinemment quels étaient les autres dont il parlait et il hocha la tête, un peu rassuré. Il se rassit, épuisé et regarda à travers ses paupières lourdes son hôte préparer rapidement des raviolis en boite sur un petit réchaud à gaz.

« Ils ne seront pas aussi bon que par chez toi, mais il faut que tu manges quelque chose, sinon tu ne vas pas te relever avant trois jours. »

Il accepta l'assiette et se mit à manger machinalement sans goûter ce qu'il avalait. La chaleur au creux de son estomac lui fit cependant du bien et il cligna des yeux, un peu plus lucide.

« Je ne connais même pas ton nom, fit-il remarquer.
— C'est normal, je ne te l'ai pas donné, répliqua l'autre avec un sourire malicieux.
— Et comment je t'appelle, alors ?
— Ça n'a pas d'importance. Tu tombes de sommeil et tu seras parti demain matin. Dis toi juste que je suis un ami. »

Gianni rumina ces paroles le temps de finir de manger puis il posa l'assiette au sol à côté de lui et se blottit dans un coin du canapé, le menton sur les genoux.

« Tu n'es pas un chasseur.
— Non, trop dangereux.
— Mais pourtant tu te protèges et tu sais.
— Oui.
— Qui es-tu ?
— Je te l'ai dit, un ami.
— Tu es un Prophète. »

Le garçon eut l'air surpris puis un sourire entendu se dessina sur ses lèvres.

« Bien deviné, Maître Yoda !
— M'appelle pas comme ça, râla Gianni en souriant lui aussi.
— Tu préfères que je t'appelle Jésus ?
— Non, se rembrunit l'italien.
— Désolé. Dis toi que si tu es Jésus, je peux être Saint Jean-Baptiste, ce qui n'est pas beaucoup mieux.
— C'est ça, ton nom ?
— Bien essayé. »

Ils échangèrent un sourire et Gianni laissa au Prophète le temps de finir son repas. Il avait déjà croisé deux Prophètes jusqu'à présent, deux femmes, une en Italie, au début, et la tante des enfants Donovan, Ma'. Elles étaient toutes les deux medium mais il ne lui semblait pas que cela soit le cas de son hôte.

« Est-ce que ton ami va venir ? Je ne l'ai pas remercié, demanda brusquement Gianni en changeant de sujet.
— Hein ? Oh, non, il monte la garde ce soir. »

Il ne lui avait pas semblé bien grand et costaud, mais Gianni avait vu Tank étaler son père sur le sol pendant une séance d'entraînement. Et puis il lui avait semblé un peu étrange, à bien y réfléchir. Il pencha la tête.

« C'est un Prophète, lui aussi ? demanda-t-il.
— D'après toi ?
— Non... C'est autre chose.
— Je te laisse essayer de découvrir ça par toi-même. »

Le Prophète fit la vaisselle en silence puis alla ouvrir la fenêtre à son chat qui y grattait en miaulant doucement. Il se réinstalla sur le sofa, l'animal sur les genoux.

« Alors... Est-ce qu'on discute ? lança-t-il soudain.
— Euh...
— Il est de mon devoir de Prophète de te guider. C'est écrit quelque part, expliqua-t-il en désignant vaguement les livres.
— Et comment tu comptes faire ça ?
— Peut-être en essayant de te convaincre de ne pas te vendre à Lucifer ?
— Je n'avais pas l'impression que tu étais medium, pourtant, bougonna Gianni en se renfermant un peu.
— Je ne le suis pas. Mais ce que tu cherches à faire fait grand bruit en Bas.
— Je ne changerai pas d'avis.
— Pourquoi ? Est-elle plus importante que l'humanité toute entière ? »

Gianni ne répondit pas. Il observa un instant le chat qui était étalé sur les genoux de son maître, les yeux mi-clos. Il n'avait pas de bonne réponse, basée sur sa foi ou quelque chose comme ça. C'était juste qu'il ne voulait pas que Delta souffre et qu'elle lui manquait. Il voulait qu'elle lui lave à nouveau le visage en le traitant de dégueulasse, qu'elle s'amuse à essayer de lui faire des tresses comme elle en faisait à Tank, avant de les défaire en riant, qu'elle lui apprenne les noms des saints et qu'elle vienne se blottir contre lui pour qu'il la console quand elle était triste. Le fait qu'elle ne soit plus là, à s'occuper de sa famille, à empêcher son père de boire, sa soeur d'être trop sérieuse et son frère de grandir trop vite, cela lui semblait injuste.

« Je fais ce qu'il me semble être juste, souffla-t-il enfin. Et je me fiche d'être égoïste. Pourquoi je sauverais le monde entier et pas elle ? Pourquoi les autres gens mériteraient plus qu'elle d'être sauvés ? »

Le Prophète sourit et caressa son chat. Le ronronnement de l'animal remplit la petite pièce et Gianni cligna des yeux, soudain épuisé.

« Je ne vais pas t'empêcher de faire ce que tu veux. Ce n'est pas comme ça que je fais les choses. Je te souhaite juste de faire tes choix en pesant toutes les conséquences. Tu as bien plus qu'une simple vie entre les mains... Et de façon plus personnelle, je te souhaite bonne chance pour retrouver ta Delta.
— Je ne t'ai jamais dit son nom...
— Je te l'ai dit : tu fais du bruit, Gianni. Il suffit de savoir écouter.
— Est-ce qu'elle va bien ?
— Elle est vivante, c'est tout ce que je peux te dire.
— Merci quand même. »

Il se frotta les yeux et retint un bâillement.

« Allez, je te libère. Lève toi le temps que j'ouvre le canapé et on pourra se coucher, déclara le Prophète au grand soulagement de Gianni. J'espère que ça ne te gêne pas qu'on partage.
— Non... J'ai déjà partagé avec Tank.
— Je te rassure, je suis moins remuant que lui, » plaisanta-t-il, et ils se sourirent.

Il ne fallut pas longtemps à Gianni pour s'endormir, mais ses rêves furent agités. Il y voyait Adrian qui lui hurlait de le délivrer et son visage se confondait avec celui de Delta. Il y avait aussi Mishael, l'ange déchu au sourire tentateur mais aux yeux si tristes qu'ils lui tordaient l'estomac. Il brûlait au milieu de flammes noires et les larmes qu'il versait ne faisaient qu'attiser le feu. Puis il y avait Mickael, le Séraphin parfois si humain qui jouait aux cartes avec Tank et Charlie. Il tirait un Joker orné de la tête de Bélial et la carte s'enflammait également, le grondement du feu couvrant les hurlements de Tank et lui était au milieu de tout ça, figé, comme prisonnier de deux mains brûlantes qui le déchiraient de l'intérieur, deux griffes lacérant sa chair, son esprit et ses espoirs...

Il se réveilla en sursaut. À côté de lui, le Prophète dormait tranquillement, son chat lové dans son cou. La lumière du soleil pointait entre deux immeubles, par la fenêtre. Sa tête était toujours douloureuse mais il se sentait à peu près reposé. Il se leva précautionneusement et poussa la seule porte de la pièce qui n'était pas celle de l'entrée pour trouver la salle de bains. De l'eau fraîche sur son visage lui fit du bien et il hésita un instant avant d'oublier la politesse et de rentrer dans la minuscule douche. Il en avait trop besoin.

Il n'y resta pas longtemps pour ne pas gaspiller l'eau chaude et quand il ressortit de la pièce, les cheveux encore trempés, il fut accueilli par un bol de céréales qui apparut littéralement sous son nez.

« Bon appétit. Et bonjour, le salua son hôte en se laissant tomber avec grâce sur le canapé.
— Merci. Je n'ai pas utilisé toute l'eau chaude.
— Ne t'inquiète pas, je survivrai à une douche tiède. Quand tu seras prêt, il faudra que tu partes. La ville n'est pas sûre. »

Gianni hocha la tête en silence et termina son petit-déjeuner. Il s'habilla lentement, peu motivé malgré la nécessité de partir. Le chat se frotta contre ses mollets en ronronnant et il se pencha pour lui gratter les oreilles avant de boucler son sac.

« Est-ce que tu as une arme, en dehors de ça, demanda ensuite l'autre garçon en désignant son skate.
— J'ai ceci, répondit Gianni en sortant un solide couteau de chasse de la poche de son sac. C'est Charlie qui me l'a donné.
— Garde le sur toi, pas dans ton sac. Et n'hésite pas à t'en servir.
— Je ne suis pas fan de ce genre de trucs, grimaça-t-il.
— Si tu ne le fais pas, tu ne seras plus fan de rien, » répliqua le Prophète, sans pitié.

Il soupira mais glissa le couteau à sa ceinture, sous son pull, puis enfila son blouson et son sac avant d'empoigner son skate.

« Tiens, lui dit le Prophète en lui tendant quelques billets. Je préfère te les donner à toi plutôt qu'à l'église. C'est plus direct comme don.
— Merci, accepta Gianni avec un petit rire.
— Reprends le car. Passe la frontière et va en Californie. Ce n'est pas moins dangereux, mais au moins il y a du soleil.
— D'accord. De toute façon, la Californie ou ailleurs...
— Bonne chance, Gianni. »

Cela sonnait comme un adieu et Gianni ne put qu'hocher la tête, soudain triste à l'idée de quitter son compagnon. Il enfila son bonnet d'une main et se détourna maladroitement pour aller ouvrir la porte. Il fit un pas et rentra dans quelqu'un.

« Ah, tu t'en vas ? demanda le petit brun de la veille.
— Oui... Merci pour hier d'ailleurs.
— De rien, lança-t-il en haussant les épaules avec une grimace comique. Allez, bouge, tu embaumes le couloir.
— Linus ! réprimanda le Prophète de l'intérieur avec un rire dans la voix.
— Quoi ? C'est vrai ! Ça va puer le béni pendant trois plombes, ici !
— Excuse le, Gianni. Je ne l'ai pas dressé correctement.
— C'est... rien, répondit l'italien, vaguement perplexe.
— Mais il a raison, tu devrais y aller.
— Oui... Merci encore à tous les deux. Et... ben, je dirai pas à bientôt.
— Qui sait ? »

Gianni les salua une dernière fois d'un geste de la main puis s'éloigna. Au dernier moment, il se retourna et vit que la porte était toujours ouverte. Il hésita, ouvrit la bouche et la referma.

« Je m'appelle Leander, répondit le Prophète à sa question muette. Va, maintenant.
— Merci. »

La porte du petit studio se referma tandis qu'il se détournait. Une fois dehors, il resta une seconde à profiter des rayons du soleil qui caressaient sa peau, puis il posa son skate par terre et reprit sa route.

FIN.
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